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Rodin en majesté au Musée des Beaux-Arts de Calais

Par Alain Gabriel | Publié le 13/06/2025

Deux nouvelles salles du Musée des Beaux-Arts de Calais rendent un vibrant hommage à Rodin. Un parcours renouvelé, une scénographie moderniste, un dépôt exceptionnel du Musée Rodin… L’œuvre magistrale des Bourgeois de Calais retrouve ici tout son éclat, en pleine lumière.

Les Bourgeois de Rodin retrouvent leur demeure aux Beaux-Arts de Calais

Il est des villes où l’art semble s’ancrer naturellement dans la pierre, la mémoire et les regards. À Calais, c’est Rodin qui incarne ce lien profond entre création et territoire. En 1884, l’artiste reçoit commande d’un monument rendant hommage à six notables calaisiens prêts à se sacrifier pour sauver leur cité assiégée. Dix années plus tard, Le Monument aux Bourgeois de Calais voit le jour. Ce groupe sculpté, où la dignité humaine affleure dans chaque tension musculaire, chaque regard baissé, a bouleversé les canons de la statuaire officielle. Il est devenu, au fil du temps, une œuvre-symbole, à la fois mémoire locale et manifeste artistique.

En 2025, pour célébrer les 130 ans de ce chef-d’œuvre, le Musée des Beaux-Arts de Calais inaugure deux nouvelles salles entièrement dédiées à Auguste Rodin. Ce projet s’inscrit dans un vaste chantier de rénovation du musée, amorcé en 2023, et porté avec exigence par les équipes locales et le précieux concours du Musée Rodin. Résultat : un parcours repensé, lumineux, intelligemment scénographié, où 26 sculptures du maître, dont 21 en dépôt exceptionnel, dialoguent avec l’architecture moderniste signée Paul Pamart.

Anatomie d’un monument, anatomie d’un génie

Au fil de six séquences claires et immersives, le visiteur plonge dans l’univers de Rodin. L’artiste y apparaît dans toute sa complexité : ouvrier des ateliers haussmanniens, expérimentateur radical, lecteur de Dante et sculpteur de l’invisible. Les œuvres phares – L’Homme au nez cassé, La Porte de l’Enfer, Fugit Amor, Pierre de Wissant – trouvent ici un écrin à leur mesure. Chaque salle distille une atmosphère sensible, nourrie par des dispositifs visuels, tactiles ou sonores, qui rendent justice à la puissance physique et psychologique des sculptures.

Le cœur du parcours est bien sûr consacré à Les Bourgeois de Calais. Croquis préparatoires, études de mains, visages tourmentés, maquettes à différentes échelles : on suit pas à pas le processus créatif d’un monument qui défie les conventions de l’héroïsme. Rodin refuse la posture glorieuse, préfère le doute au triomphe, le tragique au pathos. La sculpture devient langage intérieur. Et c’est dans cette retenue expressive que se niche toute sa force.

En écho à ce geste artistique, la scénographie souligne avec subtilité la beauté de l’espace muséal. Hauts plafonds, parois vitrées donnant sur un parc paysager, lumière naturelle filtrée… La mise en scène est à la fois discrète et magnifiante. À l’image de Rodin lui-même, qui savait laisser l’émotion jaillir de la matière.

Avec ce nouvel accrochage, Calais affirme une double ambition. Tout d’abord, réinscrire Rodin dans la vie de la cité. Mais aussi rappeler que la sculpture est aussi affaire d’humanité, de souffle, de présence. À une époque où tout va vite, les Bourgeois nous invitent à la lenteur, à la contemplation, à l’élévation.