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Muganga : le film primordial de 2025

Par Alexandre Foumangoye | Publié le 03/10/2025

Le film Muganga, film qui suit la vie du Docteur Denis Mukwege, est sorti le 24 septembre. Un film touchant, et psychologiquement éprouvant qui nous envoie à l’hôpital de Panzi. Un hôpital, situé dans la ville de Bukavu, en République démocratique du Congo qui accueille depuis 1999, des milliers de femmes victimes de violences sexuelles. Ce film intervient alors que la RDC est victime d’une guerre à l’Est du pays depuis 30 ans.

Rappel historique

La décence voudrait que pour appréhender un film comme Muganga, un rappel historique soit fait. La République démocratique du Congo est depuis la fin des années 90 en proie à un génocide à l’Est du pays. Ce génocide, perpétré notamment par des milices armées et financées par des pays frontaliers tels que le Rwanda ou l’Ouganda a fait entre 6 et 10 millions de morts. Un chiffre qui exprime toute l’horreur de ce conflit qui fait autant de morts que lors de la 2de Guerre Mondiale.

Ce conflit est d’autant plus grave que l’une des principales armes utilisées par les milices armées sur les civils est le viol. Cet outil permet entre autres de laisser la victime dans un état “zombifié », et comme il l’est mentionné dans le film : “permettre aux victimes de parler et d’instituer la peur autour de soi”. Cette arme a déjà fait, selon les chiffres officiels, 500 000 victimes.

On ne peut parler de ce génocide à l’Est sans parler de sa dimension économique. En effet, l’Est de la RDC est extrêmement riche en matières premières primaires telles que le coltan, l’uranium, le diamant, l’or, le cuivre, le cobalt, l’argent, l’uranium. Ces matières attiraient déjà les convoitises depuis le temps des colonies et sont l’une des principales sources de motivation du conflit.

Un film qui se décline sur plusieurs piliers (ALERTE SPOILER)

Si le film est aussi intéressant, c’est parce que dès les premières minutes, l’atmosphère y est pesante. Le film s’ouvre sur un discours de Dr Denis Mukwege (joué par le brillant Isaach de Bankolé) devant un parterre d’officiels. Dans le même temps, il nous est montré une famille belge victime d’une attaque de militaires à leur domicile. Plus tard dans la scène, le père et les enfants seront attachés, obligés de voir la mère de famille se faire violer par un des militaires. L’explicite de la scène est déroutante de vérité, mais également de sauvagerie. Cette scène met en relief toute la loi de la proximité : en clair, en langage journalistique, “tant que c’est loin de moi, ça ne peut pas me toucher”. Une loi totalement brisée par cette scène qui fait comprendre à l’esprit occidental que cela peut arriver à tout le monde autour du globe.

Pour aller plus loin, le parallèle peut être fait aussi avec le conflit russo-ukrainien où, selon des rapports, les soldats russes et des milices privés se sont rendus coupables d’exactions sexuelles sur des civils ukrainiennes.

Plus loin dans le film, alors que le Dr Denis Mukwege remonte dans sa chambre d’hôtel à Bruxelles, des officiels congolais proches du président l’approchent. Ils viennent lui faire comprendre que le président de la RDC n’est pas à l’aise avec le fait que Mukwege s’exprime sur les viols faits aux femmes sur la tribune des Nations Unies. Des menaces à peine voilées qui révèlent toute l’hypocrisie des différents gouvernements qui se sont succédé en RDC sur la question des viols à l’Est. C’est un Denis Mukwege désemparé et profondément bouleversé qui repart dans sa chambre suite à cela.

Ajoutez à cela les menaces auxquelles fait face le Docteur Mukwege en RDC dans le film (harcèlements téléphoniques, intimidations policières, tentatives de rapt), et cela nous donne à merveille une image de l’adage biblique “Nul n’est prophète chez soi”.

Une dimension psychologique (ALERTE SPOILER)

Le personnage de Guy Cadière (interprété par le génial Vincent Macaigne), docteur belge à la technique opératoire révolutionnaire, vient totalement trancher l’image du syndrome de sauveur blanc. Une soupe que nous sert habituellement le cinéma français. Cette fois-ci, nous avons un personnage blanc qui vient en tant qu’appui de son comparse africain sans toucher ses plates-bandes. Une approche novatrice et subtile de la part du réalisateur Marie-Hélène Roux.

Enfin, une autre question qu’amène magnifiquement bien la réalisatrice, c’est bien la question de l’avortement. Souvent occulté des débats lorsque que l’on parle des violences sexuelles, cette question y est débattue longuement entre le chrétien pratiquant Denis Mukwege et l’athée Guy Cadière. Un des personnages, Busara (joué par Déborah Lukumuena, Divines) réclame au Docteur Mukwege de lui pratiquer un avortement, car son bébé fut conçu lors du viol qu’elle a subi.

Le docteur refuse catégoriquement de faire cela, de par sa confession religieuse, martelant que “chaque vie est précieuse”. Guy Cadière, au contraire, n’est pas d’accord avec lui, soulignant que l’amour voudrait que l’on prenne en considération les revendications voulues par Busara. Un débat qui est amené à diviser le spectateur sur ses propres convictions.

Car oui, ce que Muganga réussit merveilleusement à bien faire, c’est rendre inconfortable le spectateur et surtout à faire travailler sa psyché. Comme les cours donnés à l’hôpital de Panzi où les femmes réapprennent à prendre possession de leur corps. Durant ces cours, il leur ait surtout enseigné à arrêter de se définir selon leurs traumatismes. Un volet psychologique trop souvent occulté en Afrique ou l’aspect psychologique est malmené voire réprimé.

Un film qui radicalise

Muganga est un excellent film. Cela se traduit également dans les salles. Plus de 50 000 entrées dans les salles obscures, et est le seul en progression pour sa deuxième semaine de sortie, selon le distributeur du film Hugues Peysson, président de chez L’Atelier Distribution.

Le film met la lumière sur un combat. Un combat de 30 ans pour le docteur Denis Mukwege et sur sa rencontre décisive avec le docteur Cadière. Le docteur Cadière qui, dans les faits réels, aide le docteur Mukwege à Panzi depuis maintenant 15 ans.

Les acteurs sont également au rendez-vous : mention spéciale à Manon Bresch qui joue Maia, la fille du Docteur Cadière et Yves-Marina Gnahoua qui joue Kymia, la femme du docteur Mukwege. Leurs rôles sont magnifiquement bien joués. Kymia Mukwge nous montre l’arrière-boutique d’un combat de tous les instants qui n’est pas facile du tout à porter. Car ce n’est pas le docteur seul qui est impliqué mais bien toute sa famille, au grand dam parfois de cette grande dame.

Muganga attire un public de tout horizon : vieux, jeunes, noirs, blancs. Tous comprennent que ce combat, ce n’est pas une “affaire africaine” mais l’affaire de tous. Car, à la fin du film, celui qui soigne dans ce film, c’est bien le docteur, mais ceux qui sont réparés, c’est bien nous.

Muganga est le film nécessaire dont on ne pensait pas avoir besoin.