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Trois regards vers l’absolu : Beauvoir, Sartre et Giacometti réunis à l’Institut Giacometti

Par Alain Gabriel | Publié le 12/06/2025

L’Institut Giacometti réunit Beauvoir, Sartre et Giacometti dans une exposition inédite. Un trio d’esprits libres, unis par l’amitié, la création et la quête d’absolu. Entre philosophie, sculpture et engagement, un dialogue intense, sensible et vertigineux.

À Paris, l’Institut Giacometti orchestre une exposition rare, où l’amitié et l’exigence de trois figures majeures du XXe siècle se répondent dans une scénographie sensible et savante. Beauvoir, Sartre, Giacometti – Vertiges de l’absolu propose un voyage aux confins de l’engagement, de la création et de la pensée. Trois voies, trois voix, réunies autour d’une obsession commune : celle de l’absolu.

Tout commence à l’automne 1946, à Genève, lors d’un séjour où Beauvoir et Sartre sont invités par l’éditeur Skira. Là, ils croisent Alberto Giacometti, cofondateur de la revue Labyrinthe. La rencontre est décisive. Elle ouvre un dialogue fécond entre art, littérature et philosophie. Dans l’Europe encore marquée par la guerre, chacun cherche une manière de dire le réel, de résister au chaos, de repenser le monde.

L’exposition déroule ce fil tendu entre trois sensibilités. Sartre écrit L’Être et le Néant, Beauvoir L’Invitée, Giacometti modèle des corps qui vacillent, fragmentés, décharnés. Leurs œuvres résonnent : toutes explorent la condition humaine, la solitude, l’engagement, le vertige d’exister. Le philosophe théorise la liberté comme fondement de l’être ; l’écrivaine interroge la place des femmes et la fabrique de soi ; le sculpteur, lui, creuse la matière à la recherche de ce qu’il nomme une vérité invisible.

Le corps en déséquilibre

Au cœur de l’exposition, L’Homme qui chavire (1950) devient une figure tutélaire. Ce corps déséquilibré, prêt à basculer, incarne la tension intérieure qui traverse l’œuvre de Giacometti — et fait écho aux souvenirs que Beauvoir relate dans La Force de l’âge, quand elle évoque les hallucinations de l’artiste, sa sensation d’un monde flottant. C’est un homme aux frontières de la réalité, saisi par l’angoisse du vide et la quête d’un absolu.

À travers dessins, sculptures, archives inédites et extraits de correspondances, l’exposition tisse un récit à plusieurs voix. On découvre un Sartre accoudé, dessiné par Giacometti en 1949, un buste de Beauvoir modelé en 1946, mais aussi la complicité entre Simone de Beauvoir et Annette Arm, épouse de Giacometti, qui éclaire l’humanité de ces figures trop souvent figées dans leurs statues intellectuelles.

Le parcours se clôt dans l’intimité d’un lieu : la reconstitution de la chambre d’écriture de Beauvoir au 11 bis rue Victor-Schœlcher. Objets rapportés de voyages, lampes signées Giacometti, miroirs vénitiens et moulages de mains : tout ici reflète une esthétique du quotidien, un théâtre de l’intime où la pensée prend corps.

Enfin, la série photographique La Femme qui chavire d’Agnès Geoffray offre une mise en abîme contemporaine. Corps féminins obliques, instables, en suspension. Ces images dialoguent avec les figures giacomettiennes, prolongeant leur fragilité, leur puissance de résistance et leur beauté étrange.

Avec ce triptyque Beauvoir–Sartre–Giacometti, l’Institut Giacometti signe une exposition exigeante et immersive, où la pensée se sculpte, et où l’art, jamais figé, interroge toujours notre manière d’être au monde. Une ode à la création libre, lucide et incarnée.

Beauvoir, Sartre, Giacometti – Vertiges de l’absolu.
Du 19 juin au 12 octobre. Institut Giacometti.

https://www.fondation-giacometti.fr/fr/evenement/351/beauvoir-sartre-giacometti-vertiges-de-labsolu