Cet été, la Fondation de l’Hermitage dévoile « La Pologne rêvée ». Une plongée dans un siècle d’art au service de la mémoire nationale. Un hommage vibrant aux peintres polonais du XIXe siècle, réunis pour magnifier l’identité d’un pays effacé des cartes… Mais vivant dans chaque touche de pinceau.
Quand l’Histoire efface les frontières, l’art dessine une nation
Quand l’histoire politique efface un pays, l’art devient résistance. C’est ce que révèle avec force l’exposition « La Pologne rêvée. 100 chefs-d’œuvre du musée national de Varsovie », présentée à la Fondation de l’Hermitage du 27 juin au 9 novembre 2025.
À travers plus d’un siècle de peinture, elle dévoile comment les artistes polonais ont su faire de la toile un refuge, un manifeste, un territoire symbolique pour faire vivre la nation. Le XIXe siècle polonais est marqué par une profonde blessure géopolitique : la disparition de l’État polonais, partagé entre la Russie, l’Autriche et la Prusse. Dans ce contexte de dépossession, les artistes prennent le relais de l’Histoire. Ils refusent l’oubli en traçant les contours d’un pays rêvé, idéalisé, mais fermement enraciné dans la mémoire collective. Formés à Munich, Paris ou Saint-Pétersbourg, mais profondément attachés à leur identité, les peintres polonais développent une esthétique foisonnante, entre romantisme, réalisme, symbolisme et modernisme.
Un foisonnement d’esthétiques au service d’un même idéal
L’exposition de Lausanne réunit une sélection exceptionnelle d’œuvres issues du musée national de Varsovie, révélant la richesse d’une école injustement méconnue hors de ses frontières. Le parcours nous entraîne à travers une iconographie multiple, aux registres tantôt historiques, tantôt bucoliques, mystiques ou intimistes. On y croise les grands monarques de la Pologne médiévale dans les compositions de Jan Matejko, les scènes de bataille épiques de Józef Brandt, ou encore les visions symbolistes d’un Jacek Malczewski, qui fait dialoguer allégorie et patriotisme. À leurs côtés, des figures comme Władysław Podkowiński ou Stanisław Masłowski s’attachent à capturer la modernité naissante à travers le regard d’une nation blessée mais toujours vibrante.
Icônes, paysages et symboles : la richesse des imaginaires polonais
Mais la Pologne rêvée, c’est aussi celle des campagnes, des neiges silencieuses, des paysages vibrants de spiritualité. Le pinceau de Julian Fałat, dans Paysage d’hiver avec rivière et oiseau, capte une solitude presque mystique. Chez Léon Wyczółkowski ou Olga Boznańska, la lumière devient une langue muette, celle d’un peuple qui continue à parler à travers les formes et les couleurs. Les œuvres expriment tour à tour la nostalgie de l’enfance perdue, la douleur de l’exil et l’espoir obstiné d’un retour à la liberté.
L’intime et le sacré : quand la lumière porte la mémoire d’un peuple
Loin de toute uniformité, ces artistes explorent la complexité d’un sentiment national pluriel. Certains, comme Stanisław Wyspiański, lient art et théâtre, mythologie et politique. D’autres, comme Witold Wojtkiewicz ou Zofia Stryjeńska, insufflent au folklore une énergie moderne, voire avant gardiste. Leurs œuvres sont des archives sensibles d’une époque où l’art fut refuge, arme et rêve à la fois.
Un art entre tradition et modernité, entre folklore et avant-garde
On découvre également l’influence de l’Art nouveau, du symbolisme fin de-siècle, et l’émergence de visions singulières où le féminin, le mystique et le paysan dialoguent dans des compositions profondément originales. L’exposition évite toute nostalgie facile. Elle montre comment la Pologne, en tant qu’idée, a survécu dans les ateliers, les carnets de croquis, les écoles d’art. Les œuvres présentées n’ont rien de provincial. Au contraire, elles dialoguent avec les courants européens majeurs tout en affirmant une singularité saisissante. Cette « école polonaise », faite d’exil, de foi, de mélancolie et de fierté, préfigure les tensions de l’Europe moderne, entre attachement au territoire et universalité des combats.
L’art comme refuge, comme arme, comme rêve
Le choix du lieu n’est pas anodin : en affichant ces chefs d’œuvre sur les murs d’un musée suisse, pays de neutralité et d’accueil, la Fondation de l’Hermitage rappelle que l’art n’a pas de frontières mais sait parler aux silences de l’Histoire. Cette exposition est aussi un hommage aux regards croisés. Ceux des artistes polonais, bien sûr, mais aussi ceux du public d’aujourd’hui, invité à redécouvrir une culture riche, profondément ancrée dans l’humanisme européen. À l’heure où les débats sur l’identité bousculent l’espace public, cette « Pologne rêvée » a beaucoup à nous apprendre : sur la mémoire, la transmission, et la force de la création face à l’effacement. Elle nous rappelle que l’art, dans ses expressions les plus sincères, peut porter tout un peuple sur ses épaules.



La Pologne rêvée.
100 chefs-d’œuvre du musée national de Varsovie.
Du 27 juin au 9 novembre – fondation-hermitage.ch
Fondation de l’Hermitage. Lausanne.