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Laure Prouvost enveloppe Marseille de ses rêves liquides

Par Alain Gabriel | Publié le 13/06/2025

Avec trois expositions simultanées à Marseille, Laure Prouvost déploie un univers à la fois poétique, sensoriel et politique. Entre mémoire collective, imaginaire aquatique et récits intimes, l’artiste transforme la cité phocéenne en une expérience immersive inédite.

Trois lieux, une artiste, mille voix

Sous le dôme de la Vieille Charité, un sein palpite. Suspendu dans la lumière baroque, il bat comme un cœur maternel, nourricier, sensuel et protecteur. Mère We Sea, la nouvelle installation de Laure Prouvost, est bien plus qu’un geste artistique. Il s’agit en effet d’une immersion dans une matrice méditerranéenne. Ici, les voix du passé, les chants du présent et les imaginaires aquatiques s’entrelacent dans un ballet d’éléments organiques et symboliques. L’œuvre, monumentale, intime et collective, convoque les mémoires enfouies du Panier – quartier populaire et historique de Marseille – en écho aux récits d’exil, d’amour et de transmission glanés auprès d’anciens habitants. Elle devient un espace d’hospitalité, un refuge sonore et visuel… Plus encore, un sanctuaire dédié à celles et ceux que l’histoire a souvent laissé·es dans l’ombre.

La scénographie conjugue la grâce du verre soufflé de Murano – un banc de poissons suspendus, vibrants, presque vivants – avec une composition sonore conçue à partir de témoignages récoltés par des étudiantes de l’EHESS et chantée par des élèves du Conservatoire de Marseille. Ce chœur polyphonique relie les générations, mêle l’intime et le collectif, et fait résonner l’architecture baroque d’une charge émotionnelle inédite. L’art devient ici geste de soin, acte de mémoire, outil de réparation. Il enveloppe, traverse, bouscule, mais toujours avec tendresse.

Laure Prouvost, une poétique de la relation

Au cœur de cette nef, le sein devient symbole de vie et d’émancipation. Désexualisé, réapproprié, il est porteur d’un message physique, philosophique et politique. Autour de lui, les poissons flottent comme des gardiens fragiles et lumineux. Ce dispositif donne naissance à un écosystème artistique vibrant. Ainsi, chaque élément est en lien avec l’autre, dans une dynamique profondément relationnelle. La chapelle devient ventre, l’espace se fait corps.

La traversée continue au [mac] – musée d’art contemporain – avec They Parlaient Idéale, film présenté à la Biennale de Venise en 2019. Ce road-movie polyglotte, joyeux et fantasmé, suit un groupe de personnages aussi divers que singuliers – danseur, instituteur, musicienne – dans un périple à travers la France jusqu’à Venise. Les langues se mêlent, les récits se croisent, les identités se réinventent. Le langage, souvent chanté ou distordu, devient une matière plastique, un lien sensoriel et poétique entre les êtres. Chaque plan du film est une invitation à désapprendre, à ressentir, à imaginer d’autres formes de communauté.

Enfin, au Mucem – fort Saint-Jean, l’exposition Au fort, les âmes sont prolonge cette immersion sensible dans une série d’installations inédites. Le verre y dialogue avec la mer, les objets du quotidien se métamorphosent en créatures étranges, les murs du fort deviennent surface de projection d’un rêve éveillé. Visible depuis le Vieux-Port, une girouette-sirène signale ce territoire de magie douce. Entre écologie affective et mythologie intime, Prouvost poursuit son exploration d’un monde où les corps se fondent dans la matière, où les souvenirs deviennent formes, où l’art est passage.

En investissant trois institutions emblématiques de Marseille avec une telle liberté plastique et narrative, Laure Prouvost offre une vision neuve de ce que peut être une œuvre : un élan vers l’autre, un espace poreux et vivant, un manifeste sensoriel pour composer, ensemble, un monde à venir.

« J’ai la mer devant les yeux. Dans la mer, je la vois. »

Laure Prouvost