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« Worth, inventer la haute couture », au cœur du Petit Palais

Par Alain Gabriel | Publié le 13/06/2025

L’exposition « Worth, inventer la haute couture » déploie une fresque somptueuse sur près d’un siècle de création. Une immersion dans l’univers d’un visionnaire qui a révolutionné la mode, de la cour impériale aux Années folles.

Il faut franchir les galeries baignées de lumière du Petit Palais pour entrer dans un monde révolu où la mode n’était pas encore une industrie, mais déjà un art. Avec Worth, inventer la haute couture, Paris rend hommage à Charles Frederick Worth (1825-1895), couturier anglais devenu figure fondatrice de la haute couture à la française. Grâce à la contribution exceptionnelle du Palais Galliera, plus de 400 pièces — robes, capes, accessoires, portraits, objets d’art — retracent l’ascension fulgurante de celui qui habilla l’impératrice Eugénie, la comtesse Greffulhe, Lady Curzon ou encore les tsarines de Russie.

Worth et origines de la haute couture

Le parcours débute avec les débuts de Worth à Paris, en 1846, comme simple commis chez Gagelin. Rapidement, ce talentueux touche-à-tout ouvre sa propre maison, Worth & Bobergh, rue de la Paix, adresse qui deviendra mythique. Très vite, il impose sa griffe : des robes structurées, somptueusement ornées, pensées comme des œuvres d’art. Avec lui, la haute couture acquiert ses premiers codes : signatures brodées, créations sur-mesure, calendrier de collections, défilés. Charles Frederick Worth incarne le passage de la couturière au grand couturier, et impose un modèle qui perdure encore aujourd’hui.

L’exposition s’articule autour de ce récit pionnier, en jouant sur une scénographie immersive et élégante. Elle invite à suivre, à travers les époques, une journée dans la vie d’une cliente Worth : robe de jour, tea-gown, manteau d’opéra, robe du soir… chaque moment possède sa silhouette. La diversité des étoffes, des coupes et des inspirations témoigne d’un génie du costume, nourri par l’historicisme du XIXe siècle, entre Renaissance revisitée et fastes du XVIIIe. Les créations de la maison, souvent destinées à une clientèle aristocratique internationale, deviennent de véritables armes de séduction sociale.

Parmi les pièces maîtresses, la robe aux lys portée par la comtesse Greffulhe — muse de Marcel Proust — incarne à elle seule la démesure du style Worth : velours noir, incrustations de soie ivoire, broderies de perles et fils d’argent… Un manifeste visuel. D’autres silhouettes spectaculaires, parfois conçues pour les cours européennes ou les bals costumés les plus mondains, racontent le goût du couturier pour le théâtre, l’apparat et la représentation de soi.

Une maison de légende, au-delà de Charles Frederick Worth

Mais cette saga familiale ne s’arrête pas à Charles Frederick. Ses fils, puis ses petits-fils, poursuivent l’œuvre avec modernité. Au fil du XXe siècle, la maison Worth s’imprègne des influences Art déco, introduit la parfumerie comme extension du style et s’entoure d’artistes comme Jean Dunand ou Raoul Dufy. Le fameux « bleu Worth » s’impose comme signature chromatique. Jusqu’aux années 1930, la maison reste une référence mondiale, adulée par les élites comme par les artistes.

En révélant l’envers du décor — les ateliers, les salons, les mannequins d’époque —, l’exposition rappelle aussi la dimension collective de cette aventure : couturières, tailleurs, modélistes, photographes. Loin du seul génie individuel, Worth incarne un écosystème en avance sur son temps. Il est en effet, un modèle de maison de mode dont les fondations restent aujourd’hui la norme.

Worth, inventer la haute couture n’est pas une simple rétrospective : c’est un manifeste. Celui d’une mode pensée comme une œuvre d’art totale, entre architecture textile, théâtre de société et quête d’absolu. Un hommage vibrant à un nom devenu mythe, qui continue d’inspirer jusqu’aux plus grandes maisons actuelles.

« On n’habille pas seulement un corps, on sculpte une époque. » — Charles Frederick Worth